La tête à la bonne place : préparer la rentrée d’un enfant différent

01 septembre 2022

La tête à la bonne place : préparer la rentrée d’un enfant différent

Geneviève Pronovost, enseignante en histoire au Collège Brébeuf, est la mère de Xavier, 17 ans. Autiste sans déficience intellectuelle, ce passionné d’histoire fait sa rentrée scolaire au cégep. Discussion avec sa maman autour de cette étape importante, pour lui comme pour elle.

01 septembre 2022
Xavier

Nous sommes présentement en juillet, au cœur de l’été. Quand je prononce le mot « rentrée », qu’est-ce que cela provoque chez vous?

Le goulot d’étranglement s’en vient! Il y a quatre rentrées scolaires : la mienne et celle de mes trois enfants. Nous, les profs, nous sommes toujours un peu énervés, c’est anxiogène parce qu’il ne faut pas rater les premières heures dans notre classe. La première impression auprès de nos élèves est cruciale. C’est aussi la rentrée des gars : un au primaire, un au milieu du secondaire et Xavier qui rentre au cégep. Trois niveaux, trois établissements différents! En plus, leur père et moi sommes séparés.

Pour la rentrée, je me prépare longtemps d’avance. Début août, j’achète effets scolaires et vêtements pour que, le moment venu, j’aie la tête à la bonne place. Fébrilité donc, angoisse aussi un peu et en même temps laisser-aller. Les services vont-ils être disponibles pour Xavier? Comment seront les cohortes? Les amis des enfants, particulièrement ceux de Xavier, vont-ils toujours être présents? Il y a une grande part de lâcher-prise. Nous mettons tout en place pour faire face, mais il faut aussi faire confiance. Si j’entrevois un pont à franchir, je le franchirai quand il se présentera à moi. Je ressens aussi de l’inquiétude. Entrer au cégep est une situation nouvelle pour Xavier. Il y a eu la fin du secondaire 5, la fin de cinq ans dans une même école avec des services bien rodés. Et le fait que Xavier est censé travailler cet été.

Pouvez-vous nous présenter votre famille?

J’ai trois gars! Mathias, 15 ans, est très débrouillard et autonome. Il fait son chemin. Alexis, 11 ans, le bébé de la famille, est très complice avec Xavier, qui mesure 6 pi 2 po et qui est féru d’histoire contemporaine! Le papa, Renaud, est professeur titulaire à HEC. Pour ma part, je suis enseignante au Collège Brébeuf et chroniqueuse à la radio et la télé. Nos vies professionnelles sont enrichissantes et bien remplies. J’ai rencontré Louis-Philippe, qui a aussi deux enfants. Bref, un univers familial élargi.

Comment se passe votre été?

Mathias travaille et Xavier fait un stage pour devenir barista dans le cadre d’un programme de Carrefour jeunesse-emploi. Depuis ses 16 ans, nous avons fait toutes sortes de démarches pour qu’il puisse travailler. Ç’a été tout un périple : faire le CV et aller le porter, les rejets avant les entrevues, les rejets après les entrevues…

C’est tout un apprentissage pour nous, et c’est très dur pour Xavier. Depuis qu’il est petit, nous informons continuellement notre entourage et l’école des particularités de Xavier. Autour de lui, les choses ont toujours été organisées pour que son environnement soit accueillant. Mais pour les emplois, comment faire? Je ne vais pas aller avec lui voir un employeur pour lui dire comment Xavier fonctionne!

Nous l’avons outillé le plus possible pour le préparer au marché de l’emploi. L’an dernier, nous l’avons accompagné jusqu’à la porte des établissements. Il allait seul rencontrer les gérants. Ça n’a pas fonctionné. Cette année, Xavier a vu son petit frère de secondaire 3 partir travailler. Ça l’a piqué un peu plus.

Il a commencé à travailler chez IGA. Au bout de deux ou trois fins de semaine, on lui a dit que c’était terminé. Je suis allée voir le directeur pour comprendre ce qui s’était passé. Il ne savait pas que Xavier était autiste et m’a assuré que les choses se seraient passées différemment s’il avait eu l’information. Nous avons alors fait le point avec notre fils. Il fallait que Xavier dise aux employeurs qu’il est autiste, qu’il mette des mots, ses propres mots sur sa condition, sans se dévaloriser pour autant. À 17 ans, tu es à la fin de l’adolescence, ton identité n’est pas complète et l’autisme ne facilite pas les choses pour te faire des amis et avoir des relations sociales. Alors, rajouter l’étape de présenter ses particularités… Xavier s’est rendu compte qu’il avait besoin d’aide pour trouver un emploi. Nous avons alors entamé des démarches avec Carrefour jeunesse-emploi et, cet été, Xavier a obtenu des stages de barista dans des cafés! Je savais que des organismes soutenaient ceux qui avaient besoin d’aide en orthophonie et en ergothérapie. J’ai découvert qu’il y avait aussi de l’aide pour l’intégration au monde du travail des personnes différentes. Ça m’a tellement soulagée! L’an prochain, Xavier aura 18 ans. Va-t-il être capable de gagner sa vie un jour? Je me sens à la croisée des chemins.

Vous venez de dire que vous avez toujours fait en sorte que l’environnement soit accueillant pour votre fils… Avec le cégep, vous lâchez prise?

À la fin de l’été, Xavier entre au Collège de Rosemont où il a été accepté haut la main; c’est un génie en histoire. Aux inscriptions du mois de mars, il exprimait déjà le souhait de recevoir de l’aide du cégep, de garder son travailleur social et que son plan d’intervention le suive. Il a même demandé des rencontres virtuelles avec l’aide pédagogique individuel (API) dans ce but. Il veut s’assurer d’avoir l’aide dont il a besoin. Ce n’est pas moi qui ai fait ces démarches, c’est Xavier! Je n’ai plus de contact direct avec les API. Xavier a même présenté son diagnostic d’autisme, reçu à l’âge de trois ans. Nous avons relu ce document ensemble; ça lui est rentré dedans!

Quelle est la relation de votre fils avec l’école jusqu’à cette année?

Au primaire, les deux premières enseignantes ont été formidables. Il aimait l’école, mais… pas les maths. Je l’ai beaucoup coaché pour lui donner des méthodes de travail. Pour les maths, il a eu un tuteur, à qui nous avons progressivement appris à déléguer et à faire confiance. Nous avons pu nous concentrer sur le reste, sur ce qui allait bien.

Une année, Xavier a eu une enseignante qui ne voulait pas mettre en place de mesures adaptatives. Il a trouvé ça difficile, mais il n’est pas très sensible à la personne qui est en face de lui, c’est davantage la matière qui importe. Quand il est entré au secondaire, son père et moi nous sommes séparés. Comme si de rien n’était, Xavier a fait sa rentrée scolaire et s’est trouvé deux amis. Il a passé la pandémie en grande partie à la maison, sans jamais se détourner de l’école et de sa grande passion pour l’histoire de Chine et du Japon au 20e siècle.

Qu’est-ce que la rentrée scolaire pour lui?

De la fébrilité, mais pas à l’excès. L’école secondaire a été un lieu rassurant pour lui, avec le même travailleur social. Même corridors, mêmes classes, mêmes personnes. Le jour de la rentrée en secondaire 1, Xavier attendait sa grand-mère, qui devait l’accompagner, mais elle a eu un empêchement. Xavier a pris ses affaires et s’est rendu seul à l’école, en prenant soin de signaler la chose au travailleur social! Pour l’entrée au cégep de Rosemont, je le sens beaucoup plus anxieux. On dirait que, cet été, il a pris conscience qu’il allait devoir composer avec son autisme. Jusqu’ici, il pensait qu’il arrivait à se fondre dans la masse. Ça le remet en question : va-t-il être capable d’effectuer ses travaux, de comprendre, de travailler pendant les étés? Il a moins confiance en lui présentement et est plus conscient de ces enjeux, ce qui rajoute à son anxiété.

Comment envisage-t-il son entrée en cégep et la nouveauté qui vient avec?

Le Collège de Rosemont est plus proche de chez nous que de chez son père. Il en est à penser à changer sa routine. Ça le stresse beaucoup. Pour le rassurer, nous avons décidé de continuer avec la routine d’une semaine chez papa et d’une semaine chez maman. Il pense aussi au transport. Il se fait des horaires et des trajets, il essaie de se tracer un chemin simple. Je me souviens de ma propre rentrée au cégep. Ce n’était pas facile; j’ai travaillé très fort. Je fais confiance à Xavier, même si je serai un peu plus aux aguets. Comme il ne parle pas énormément, je vais devoir poser plus de questions et être attentive. Il n’est pas tout à fait apte à l’autonomie. Il faudrait qu’il sache faire trois ou quatre plats simples et comprendre les transports. Ce sont nos deux batailles de l’été : se faire à manger, se déplacer. Est-ce qu’il va être capable de vivre en appartement un jour, de gagner sa vie? Qui sait le chemin qu’il va prendre? Nous sommes présentement dans un entre-deux. Il est autonome dans beaucoup de choses, peu débrouillard toutefois. J’aurais eu besoin de services pour, par exemple, lui apprendre à cuisiner ou lui donner le goût de jaser avec des personnes qui lui ressemblent.

Pour les rentrées de votre fils, comment vous prépariez-vous?

Au primaire, fin juin, je rencontrais l’enseignante pour m’assurer que le plan d’intervention allait être envoyé au bon endroit . Mi-août, j’appelais à l’école pour savoir qui était le travailleur social. S’il avait changé, pouvait-il lire le dossier et prendre connaissance des besoins spécifiques de Xavier? L’enseignante était-elle ouverte à des mesures adaptatives? Après cela, j’appelais le tutorat de mathématiques pour le réserver et le placer dans l’horaire. Les services d’ergothérapie se sont arrêtés à la fin du primaire.

À l’Appui pour les proches aidants, nous parlons de « parents proches aidants ». Qu’est-ce que cette expression suscite chez vous?

Ce n’est que récemment que j’ai réalisé que je suis parente proche aidante tout en me posant beaucoup de questions. Nous élevons un enfant qui est un peu différent, mais sommes-nous « proches aidants »? Pour moi, un proche aidant, c’était quelqu’un qui s’occupe d’une personne âgée ou d’une personne qui est à la maison et qui a besoin de services pour son ménage ou son épicerie; c’était quelqu’un qui a besoin d’aide pour que son proche finisse sa vie dans la dignité. Ce n’est pas ça que je fais avec mon enfant. Il n’est pas en perte d’autonomie. Je l’accompagne vers l’autonomie. Je ne sais pas…

Que faudrait-il pour faciliter la rentrée scolaire des enfants et de leurs parents proches aidants? Quels sont vos rêves?

Pour tous les parents d’autistes, d’enfants avec troubles d’apprentissages, d’anxiété ou encore de douance, je pense que les choses devraient se régler en juin, avec une réunion parents-direction d’école : plan d’intervention, bilan du travailleur social, bulletin, cheminement, difficultés, planification de l’année scolaire suivante, transferts et réservation de services. Au moment du départ en vacances, tout serait déjà en place. Certaines écoles le font, mais cette façon de faire devrait être généralisée! Cela faciliterait beaucoup la rentrée, pour les enfants comme pour les parents.

Transportons-nous au jour J. Que voyons-nous dans votre visage et dans celui de votre fils?

Pour Xavier, ce sera le 15 août et, pour moi, le 24! Xavier s’y rendra seul. Il sera dans sa bulle, dans ses affaires, stressé. Il parlera le moins possible et souhaitera qu’on lui parle le moins possible. Sur mon visage, on verra de la fierté de le voir entrer au cégep et étudier l’histoire. Tous les efforts que nous avons mis… Ce chemin n’est pas traditionnel, mais il est beau.

Voici 4 conseils de Geneviève pour faciliter la préparation de la rentrée d’un enfant différent :

  1. Faire appel à l’entourage. « Jusqu’à cette année, ma mère venait de Shawinigan passer la semaine de la rentrée scolaire avec nous. Elle gérait les repas, les retours à la maison des trois gars, la routine. Cette année, ce sera différent »;
  2. Se sortir l’école de la tête dans la routine journalière. « Chez nous, les devoirs se font avant 18 h 30. Ensuite, nous faisons autre chose »;
  3. Préparer la rentrée scolaire le plus tôt possible et autant que possible;
  4. Faire confiance. « Faire confiance au personnel enseignant, faire confiance à la direction de l’établissement… Si ça ne fonctionne pas, des solutions existent. Tenter de tout contrôler peut nuire à notre enfant. C’est comme un écrivain qui écrit un livre. Son livre est son bébé, mais une fois l’ouvrage publié, il ne lui appartient plus. C’est la même chose avec ton enfant. Tu l’éduques, tu l’aimes mais, une fois rendu dans la société, il ne t’appartient plus. »

Propos recueillis par Karine Cloutier, chargée de projets aux communications à l’Appui pour les proches aidants. Merci à Geneviève Pronovost pour cette conversation estivale!

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