« Il n’y a pas de recette miracle » : le mensonge thérapeutique à l’épreuve de la réalité de la maladie d’Alzheimer

04 avril 2023

« Il n’y a pas de recette miracle » : le mensonge thérapeutique à l’épreuve de la réalité de la maladie d’Alzheimer

Peut-on mentir à un proche atteint de la maladie d'Alzheimer ? Est-ce même conseillé dans certaines situations ? De nombreux aidants se posent ces questions. Conversation autour du mensonge thérapeutique avec Nouha Ben Gaied, directrice Recherche et Développement et Qualité des services à la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer.

Dyade (33)

Qu’est-ce que le mensonge thérapeutique?

À tort ou à raison, c’est penser que de ne pas dire la vérité à la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer pourrait lui être bénéfique. C’est un jugement sur la capacité de la personne à comprendre, réaliser ou avoir une réflexion par rapport à une situation donnée.

Avez-vous un exemple concret de mensonge thérapeutique?

« Quand est-ce que Robert vient me voir? » La personne proche aidante doit parfois répondre à une même question posée de façon répétitive. Doit-elle alors être dans la confrontation ou dans le retour à la réalité? Jusqu'où aller dans la stratégie choisie? Si la personne proche aidante veut valider les émotions associées à l’absence de Robert, elle choisira peut-être de dire que Robert arrive dans une heure, alors que ce n'est pas prévu. Dans cette situation particulière, elle décide de mentir; on appelle cela un « mensonge blanc ». Un « petit » mensonge n’a pas nécessairement d’impact, alors qu’un autre mensonge peut avoir des conséquences négatives. Pour le proche aidant, cela s'accompagne de culpabilité et d’émotions.

Je me rappellerai toujours l’exemple d’une proche aidante dont le mari était très manuel et actif. Son mari lui raconte avoir été ramasser des citrons dans le jardin. Elle lui fait remarquer que les citrons ne poussent pas au Québec. Le mari persiste. Avant d’avoir suivi la formation de la Société Alzheimer, elle aurait peut-être été dans la confrontation. Elle a plutôt choisi de « mentir » en soulignant que ce geste avait permis au cuisinier de faire une succulente tarte au citron. Ici, le mensonge est réalisé dans l'objectif de rassurer la personne atteinte et de valoriser son estime de soi.

Ne pas annoncer un décès, ou ne pas évoquer un hébergement futur, est-il considéré comme du mensonge thérapeutique?

Tout à fait. Le mensonge peut être à différents niveaux. Après avoir essayé sans succès plusieurs stratégies, notamment l’approche de base de communication et la gestion des comportements, la personne proche aidante se résout à mentir pour soulager une anxiété ou une frustration.

Certaines personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ont des hallucinations et idées délirantes qui peuvent faire écho à un plongeon rétrograde. Ce que dit la personne atteinte n’est pas réel, mais à cet instant, c’est sa réalité. À ce moment-là, pour éviter des situations de conflit, le proche aidant peut choisir d’entrer dans « cette » réalité avec un mensonge.

Annonce-t-on, ou pas, le décès d’une amie proche? À la Fédération québécoise des sociétés Alzheimer, nous pensons que oui, parce que le deuil doit se faire. La personne atteinte a encore une réalité émotive; il est important pour elle de vivre ce deuil. Quelque temps après, il se peut qu'elle occulte la réalité du décès. À ce moment-là, la personne proche aidante dit-elle à nouveau que l’amie est décédée? C’est beaucoup d’émotions pour l’aidant. Il n’y a pas de recette miracle; c’est complexe.

Il y a aussi le mensonge thérapeutique médical…

Le mensonge thérapeutique au niveau médical a des conséquences. Le médecin pourrait ne pas prononcer le diagnostic de maladie d’Alzheimer, soit parce que lui-même a des idées reçues par rapport à la maladie, soit parce que la personne, à un stade modéré ou avancé de la maladie, a des capacités de jugement qui ne sont plus suffisantes pour comprendre la situation. Le médecin va alors préférer s’adresser au proche aidant pour lui expliquer la situation, ou ne pas parler du diagnostic. Le mensonge thérapeutique médical peut donc débuter dès le diagnostic.

Le fait de ne pas annoncer un diagnostic à une personne atteinte, surtout si elle est en début de maladie, a des implications sur son adhésion à la médication, sur son implication potentielle de participation à des projets de recherche. Si le médecin n’exprime pas le diagnostic, la personne proche aidante ne se reconnaîtra pas comme telle et n’aura pas la vision nécessaire pour regarder en face la nouvelle situation, s’adapter, chercher des services, prendre soin d’elle ou planifier l’avenir. Cela peut agir sur le niveau d’épuisement du proche aidant.

Cette expression de « mensonge thérapeutique » est chargée au niveau sémantique avec ce mot « mensonge »! Qu'en pensez-vous?

Oui! D’abord, cela laisse penser que ce « n’est pas bien », rajoutant encore de la culpabilité à la personne proche aidante. Ensuite, cela va à l’encontre de nos valeurs; on nous apprend à toujours dire la vérité!

Le mensonge thérapeutique est une situation dans laquelle il est permis de mentir et c’est dans ce contexte qu’il faut l’envisager : on peut mentir si les conséquences ne sont pas négatives. Si l'annonce d’un décès provoque émotions, pleurs, cris ou détresse psychologique persistants qui se reproduisent à chaque fois que le décès est évoqué, à un moment donné, on va arrêter de parler de ce décès. Ce n'est pas considéré comme un mensonge en tant que tel ; c’est plutôt venir soulager les émotions associées à l’annonce. L’idée ici est de maintenir une relation de confiance entre l’aidant et l’aidé. C’est à nous, comme aidant, d’évaluer et de valider la situation vécue.

Ce moment où notre proche atteint d’une maladie neurodégénérative commence à nous prendre pour quelqu’un d’autre.... Que faire lorsque cela arrive?

Ce que vous décrivez n’est pas un mensonge thérapeutique. En arrivant auprès d’une personne atteinte, que l’on soit intervenant ou proche aidant, il faut toujours se présenter tel qu’on est réellement et expliquer ce que l’on vient faire. La personne atteinte peut ne pas nous reconnaître. C’est émotif, parce que cela nous place face à l’évolution de la maladie et face au deuil blanc à affronter. Ce moment, lorsqu’il survient, est déstabilisant. Il se peut que par la suite, la personne atteinte « revienne »; on répète alors qui on est et ce qu’on vient faire.

Si la personne nous confond avec une autre personne, il s'agit d’essayer de comprendre pourquoi cette confusion survient : est-ce une ressemblance ou est-ce dû à notre approche? Qui est cette personne avec laquelle notre proche nous confond, quelle a été la relation avec elle et quelles émotions ce souvenir provoque-t-il? Est-ce un plongeon rétrograde? On peut alors utiliser cet épisode pour faire diversion et amorcer une conversation.

Je veux vraiment comprendre. Pour vous, le mensonge thérapeutique n’existe donc presque pas, ou s’il est employé c’est succinctement, c’est bien ça?

Pour moi, le mensonge ne doit pas être quelque chose qui est fait au premier abord. Il faut d’abord passer par différentes approches : la communication de base, les stratégies d’intervention pour les comportements, la validation des émotions et l'histoire de vie. Si tout cela ne fonctionne pas, on peut alors recourir au mensonge comme solution de dernier recours.

Il faut connaître la personne, son histoire de vie et les événements marquants de sa vie, positifs ou négatifs. Un plongeon rétrograde fait revenir à certaines périodes charnières de notre histoire et provoque certaines émotions. La personne proche aidante doit en être consciente et tenter de valider : où la personne atteinte se place-t-elle? Éprouve-t-elle de la sérénité, auquel cas un mensonge n’aurait pas un grand impact? Ressent-elle au contraire une anxiété importante dans le cadre d’hallucinations? Mentir dans cette situation préoccupante, qui est sa réalité au moment où elle la vit, n’est pas conseillé; il faut plutôt « ramener » la personne atteinte, la rassurer, sans pour autant être dans la confrontation. Il s’agit d’évaluer ce qui est problématique et dangereux, comparé à une autre situation dans laquelle un « petit » mensonge n’aura pas de grandes conséquences.

10 conseils et stratégies proposés par Nouha Ben Gaied face au mensonge thérapeutique

  1. En arrivant auprès d’une personne atteinte, toujours se présenter tel qu’on est réellement et expliquer ce que l’on vient faire;
  2. Avant d’utiliser un mensonge, essayez d’autres stratégies : la communication de base, la gestion des comportements, la reconnaissance des émotions, le toucher affectif ou encore la réminiscence. Si après tout cela, vous en arrivez à devoir mentir, ce n'est pas la fin du monde, tant et aussi longtemps que les conséquences sur la personne ne sont pas dramatiques;
  3. Demandez-vous quelle est la gravité du mensonge. Quelles peuvent être les conséquences?
  4. Proches aidants, entourage et intervenants et soignants doivent avoir la même approche. Si on annonce la maladie, il faut que tous accordent leur violon;
  5. Le cas échéant, le mensonge est correct. Déculpabilisez, cela ne doit pas remettre en cause votre rôle de personne proche aidante;
  6. Tout cela représente beaucoup de choses à prendre en compte pour la personne proche aidante. C’est pour cela qu’il est important d’être accompagné et outillé;
  7. Reconnaissez la gamme d’émotions qui vous traverse. Vous avez pris une décision, vous avez agi en fonction d’un contexte spécifique pour le bien de la personne. Sur la base d’autres éléments, vous aurez peut-être à changer de stratégie;
  8. Cherchez du support et un réseau sur lequel vous pouvez vous fier pour avoir de temps en temps des moments de répit;
  9. La maladie change et évolue. Toujours être en mode réaction, en mode créativité et en mode prévention. Essayez d’avoir une longueur d’avance sur la maladie. Cela passe pour vous par de la formation, une bonne connaissance de la maladie et de la personne que vous aidez;
  10. La clé, en résumé : planifier, savoir à quoi s’attendre, connaître la personne atteinte et bien s’entourer.

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Merci à Nouha Ben Gaied pour cette conversation sur ce sujet délicat. Les personnes proches aidantes peuvent appeler la ligne d’écoute de la Société Alzheimer au 1-888-MEMOIRE. Au Québec, 20 Sociétés Alzheimer offrent des services aux personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer et à leurs proches.

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