« En fait, je déplace le tabou vers moi »

01 septembre 2025

« En fait, je déplace le tabou vers moi »

Le parcours de France Drouhin est singulier. Proche aidante depuis quelques années, elle accompagne plusieurs personnes à la fois, toutes aux prises avec bipolarité, dépression, anxiété et hypersensibilité. Conversation avec la jeune retraitée, qui affirme que la proche aidance a eu un rôle clé dans les étapes difficiles de sa vie.

01 septembre 2025
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France Drouhin

Comment avez-vous commencé à accompagner la première personne?

En 2017, j’ai senti que mon père nous cachait qu’il se sentait malade. Chaque semaine, je préparais un repas pour mes parents et j’allais manger avec eux. Ma maman avait les doigts de la main bourrés d'arthrite. Pendant un an, nous avons demandé de l'aide au CLSC pour la toilette de mon père, aide qui n’est jamais arrivée. La situation se débloquait quand il est décédé.

S’il n'y a pas eu de problème de santé mentale en tant que tel pour mon papa, ma mère, elle, a commencé à avoir des hallucinations pendant la pandémie. Il a fallu que je gère la situation au téléphone avec les infirmières de la RPA et le médecin. Je n'ai pas pu aller la voir pendant un an. Le médecin a ajusté ses médicaments pour que les hallucinations cessent. Ça a été mieux après.

Une proche aidance par téléphone…

Oui, j’ai appelé ma maman tous les jours. C’était difficile parce que je ne savais jamais si elle était correcte ou pas. Elle tombait parfois. À l'été 2020, il y a eu une petite trêve au niveau pandémique. J'étais la seule qui avait la permission de lui rendre visite et de l’accompagner pour ses visites médicales et les vaccins.

Au moment où j’ai décidé de partir au chalet pour deux semaines de repos, ma mère m’a annoncé ne plus se sentir capable de vivre seule si personne ne lui rend visite. J’ai alors trouvé une ressource intermédiaire. À peine arrivée, elle a été soumise à un autre confinement. Après, elle s’est sentie mieux, elle était toute belle dans sa RI du Plateau-Mont-Royal. Fin août, une chute… On repère une maladie à l'estomac. À 91 ans, elle n’a pas voulu d'acharnement. Elle est décédée en décembre. Elle avait toute sa tête.

Que s’est-il passé ensuite?

Une proche a fait une dépression, en même temps qu’elle a subi un licenciement de travail. Elle ne voulait plus manger et ne savait plus quoi faire de sa vie. Je sortais un peu avec elle. Elle avait son petit chien, une chance! Cela a duré 5 ou 6 mois. Je lui ai alors proposé de contacter l’OBNL Renaissance pour socialiser un peu à nouveau. C’est peu connu, mais cet organisme aide beaucoup les personnes ayant des troubles de santé mentale. Il y a des suivis serrés au niveau psychosocial. Encore aujourd’hui, je l’accompagne.

Votre proche aidance est multiple et a pour point commun la santé mentale. Pouvez-vous me donner des exemples?

En effet, il y a chez ces personnes anxiété, hypersensibilité, dépression et aussi bipolarité.

En plus de la personne dont je viens de parler, j’accompagne mes filles; c’est surtout de l'anxiété. J'ai accompagné une amie qui vient de décéder il y a plusieurs semaines et j’ai aussi appuyé son mari. J’ai aidé mon beau-frère, décédé en 2024, qui avait la maladie à corps de Lewy avec une prédominance de Parkinson.

Vous sentez-vous proche aidante?

Question difficile. J'ai l'impression que c'est naturel pour moi! J’aime mes proches, je ne peux pas les laisser en plan et seuls… Vous savez, j'ai toujours travaillé dans le domaine social. Si quelqu'un ne va pas bien, c'est normal pour moi de lui offrir mes services.

J'ai été voir mon amie deux jours avant qu'elle ne décède. Je lui ai parlé, même si elle était dans le coma. C'est la culpabilité qui me fait agir ainsi… Je veux sentir que j’ai tout fait pour éviter de me sentir coupable de quoi que ce soit.

Quand on est proche aidante de personnes qui ont des enjeux de santé mentale, il peut y avoir un tabou…

Plus tôt, je vous ai parlé d’une proche ayant une dépression. Cette personne est très proche de moi. Je ne souhaite pas l’identifier, parce que je ne veux pas que certains la jugent. En même temps, je suis capable de parler d’elle avec vous et d'évoquer son trouble de santé mentale avec mes amis, qui savent parfaitement de qui il s'agit.

En fait, je déplace le tabou vers moi, en veillant à ne pas nommer la personne avec tel ou tel trouble de santé mentale, pour éviter qu’elle ait « un bandeau sur le front ».

Devez-vous parfois faire des choix entre les personnes à soutenir?

Pas vraiment! Les choses se placent sans que j’ai à choisir. Bien sûr, mes enfants ont fait des crises d’anxiété en même temps que ma mère était à l'hôpital. Je soutiens mes filles par l'écoute. Je suis là pour les entendre et trouver des solutions avec elles. Elles disposent de tous les outils qui leur sont nécessaires et sont en contact avec des intervenants avec qui elles peuvent parler. Écouter, pour que la personne puisse verbaliser ce qu'elle vit au moment présent, est un plus et soulage.

Comment articulez-vous cette proche aidance « multipliée » avec votre quotidien?

Pendant la pandémie, c’était difficile parce que je travaillais encore. Je gérais mon travail dans la journée et j'aidais le reste du temps.

Aujourd’hui, je suis à la retraite et j'adore! Je fais du jardinage et de l'aquarelle, je vois mes amis, je vais au musée, je fais la comptabilité et le suivi de la restauration de notre maison… Je suis très occupée! Ah oui, j’écris dans des cahiers pour « asseoir » et vider tout ce que j’ai en tête. Et avec ma fille, nous faisons du désencombrement dans la maison. Nous avons accumulé tellement d’objets!

France Drouhin jardine

Vous recevez les services d’Arborescence?

La personne que je ne veux pas identifier et dont j’ai parlé plus tôt a demandé de l’aide à Centre de crise Résolution. Pour ne pas « couler avec elle », cet organisme m’a conseillé de consulter Arborescence (qui est anciennement AQPAMM) pour m’aiguiller et me donner des outils en lien avec ma proche aidance.

C'est Arnaud qui m'a suivie et c'est fou ce que j'ai découvert sur moi! Il m'écoutait et réberbérait ce que je lui disais, en me faisant prendre conscience d’éléments : entre autres, le fait que j'ai toujours accompagné des gens et été très aidante, même quand j'étais bien plus jeune. Ces 10 séances d’accompagnement individuel m'ont fait tellement de bien! Je me suis défoulée. J’ai pleuré. Surtout, je me suis découverte et j’ai eu des prises de conscience.

Quels types de services recevez-vous?

Arborescence est la ressource d'aide la mieux adaptée pour moi. Après les rencontres initiales, j’ai régulièrement suivi des séances d'information pour comprendre les mécanismes de la santé mentale et m'aider à y voir plus clair. Quand un atelier concerne les parents aidants d’enfants qui ont des enjeux de santé mentale, il m'aide dans la relation avec une de mes filles, avec laquelle j'ai plus de difficulté à communiquer. Elle est hypersensible et anxieuse; je m’entends bien avec elle, mais parfois je marche sur des œufs.

Je m'inscris aussi à certaines conférences « juste pour moi », car je sais qu'il faut continuer à s'aider soi-même, sans quoi on risque de « plonger » sans s'en rendre compte. Il y a aussi des ateliers pour les enfants aidants de leurs parents âgés, pour des aidants vivant avec des amis, ou encore pour les proches aidants de conjoints. De ce point de vue, tout va bien pour moi; je suis avec mon conjoint depuis 36 ans!

Je n’ai jamais quitté Arborescence, même si aujourd’hui j’ai moins de besoins. Je fais de l’art-thérapie et participe à l’AG annuelle. Quand Arborescence me demande de témoigner par exemple sous forme de visioconférences par exemple, je le fais volontiers : c’est ma façon de contribuer.

France, vous tenez à raconter votre parcours de proche aidante. Pourquoi?

Pour aider d’autres personnes qui se posent des questions sur leur proche aidance et les personnes qu’elles aident. Pour déclencher, peut-être, une petite étincelle chez des aidants qui n'utilisent aucune ressource, qui en arrachent et qui ne savent plus quoi faire. Pour « propager la bonne parole » : il y a des ressources pour les proches aidants. Si je n’avais pas su qu’Arborescence existait, est-ce que j'aurais eu l'énergie de faire tout ça?

Que diriez-vous à une personne proche aidante qui accompagne différentes personnes?

Je lui dirais de ne pas s'oublier. C'est important de s'occuper de soi si on veut être capable de s'occuper des autres. La ressource principale, c’est soi-même, et ce n'est pas égoïste de le dire.

Dans 5 ans, France Drouhin sera-elle encore proche aidante?

Je crois que oui, parce que ça fait partie de ma personnalité et que je ne souhaite pas laisser tomber les gens que j'aime. Je ne veux pas, et je ne peux pas.

Quel regard portez-vous sur votre parcours?

Mes filles me disent : « Maman, tout ce que tu as fait, tout ce à travers quoi tu as passé, c'est incroyable! » Je suis très résiliente et ça, je ne le savais pas. Je le dis sans fausse modestie. J’ai vécu tant de choses, de maladies, de décès… Je vous en parle et j'ai la gorge serrée.

Tout ça me donne d’autant plus le goût de profiter de la vie. De vivre le plus longtemps possible avec une santé mentale équilibrée. De faire de l’exercice physique. De m'occuper de moi. Et ça, je m'en occupe de plus en plus!

Un conseil pour les personnes qui lisent cet article?

Il faut être bien entouré. J'ai compris que si je ne m'entoure pas de personnes de tous les âges, je vais me retrouver seule. Je me préserve, parce qu'un jour peut-être quelqu'un va devoir s'occuper de ma propre santé mentale. Ma priorité est d'avoir une belle relation avec mes proches. Mes filles, mon conjoint, ma famille, mes amis, tous sont mes piliers. Je me sens équilibrée. J'ai mes moments de solitude, mais aussi ces instants où j'ai besoin de voir du monde, partager, rire, pleurer ensemble. J’apprends à être vraie; la proche aidance, ce n’est pas jouer un rôle.

On dit que ça prend un village pour élever des enfants. Moi, je dis que pour accompagner des personnes qui ont des troubles de santé mentale, ça prend aussi un village!

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Merci à France Drouhin pour sa générosité et son temps. France bénéficie des services d’Arborescence (anciennement AQPAMM). L’organisme offre de l'information, de la formation et de l'accompagnement pour améliorer le bien-être des membres de l’entourage dans les différents milieux de vie d’une personne vivant avec un problème de santé mentale.

Arborescence est financé dans le cadre d’un appel de projets collaboratifs pour des services destinés aux personnes proches aidantes d’enfants ou d’adultes de moins de 65 ans lancé par l'Appui pour les proches aidants.

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