Demande anticipée d’aide médicale à mourir : cette IPS appelle les proches aidants à exprimer davantage leurs besoins

03 novembre 2025

Demande anticipée d’aide médicale à mourir : cette IPS appelle les proches aidants à exprimer davantage leurs besoins

L'aide médicale à mourir est un sujet qui soulève émotions et réflexions. Marie-Josée Beaudin, infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne au CISSS de la Montérégie-Est, en sait quelque chose. L’IPS livre ici un témoignage intime de sa pratique, mettant en lumière son souci pour le respect fondamental de l'autonomie des patients et des personnes proches aidantes.

03 novembre 2025
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Marie-Josée Beaudin - CISSS Montérégie-est

Vous êtes IPSPL! En quoi est-ce que ça consiste?

Infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne veut dire que j'ai un chapeau d'infirmière, avec tous les soins infirmiers, mais également un volet médical. Je peux donc faire les suivis (investigation, diagnostic, prescriptions de médication, thérapie) de mes patients, de façon autonome, sans me rapporter à un médecin.

La notion de première ligne est le premier accès que les patients ont. La deuxième fait référence à la spécialité, la troisième ligne désigne la sur-spécialité. C'est la structure des soins. Maintenant (c'est récent), les soins palliatifs font partie de la première ligne.

L'aide médicale à mourir est-elle dans la catégorie des soins palliatifs?

Bonne question… Certains collègues médecins, prestataires de l’aide médicale à mourir, n’exercent pas du tout en soins palliatifs.

Pour moi, ça doit en faire partie. Je travaille dans une équipe de soins palliatifs et je suis prestataire de l’aide médicale à mourir. Dans la continuité des soins que j'offre à ma « clientèle palliative », l’aide médicale à mourir est une option de fin de vie que j’offre à certains patients.

Au Québec, la loi a changé en 2023. Elle autorise les infirmières praticiennes spécialisées à faire l'évaluation et à administrer l'aide médicale à mourir. Dans le texte de loi, il est écrit « professionnel compétent » : médecins et IPS.

Votre pratique a-t-elle changé à ce moment-là?

J'étais IPS depuis 2014 et je participais déjà, depuis 2016, à des démarches d’aide médicale à mourir : quand les infirmières refusaient, par objection de conscience, de se présenter au chevet du patient pour installer des voies et accompagner le médecin, il m'appelait.

À l'arrivée de la loi de 2023, ça a été naturel pour moi d’administrer ce soin. Ce qui m'anime, c'est l'autonomie et l'autodétermination du patient. C'est très important pour moi; je suis persuadée qu'on doit avoir le choix de terminer notre vie comme on veut.

À quels moments croisez-vous des personnes proches aidantes?

Tout au long du parcours! Quand notre équipe de soins palliatifs prend en charge un patient en soins palliatifs, toujours, des proches aidants sont avec lui. Leur rôle est tellement important... Les soins palliatifs, surtout à la maison, seraient impossibles sans eux. Nous créons une alliance, dès le début. Quand je rencontre le patient suite à une demande d'aide médicale à mourir, la personne proche aidante est là. Souvent, le sujet a déjà été évoqué entre eux…

Dans vos mots d'IPS, qu’est-ce que l’aide médicale à mourir?

J'utilise des mots précis avec les gens, parce que je veux qu'il n’y ait aucune confusion. Je leur dis : « C'est un acte d'administration de substances médicamenteuses qui va provoquer le décès. On administre les médicaments, ça va prendre quelques minutes et le décès va survenir ».

C'est plus qu'un geste technique. C'est un espace où nous accompagnons des personnes dans une vulnérabilité extrême, dans des moments où leurs défenses personnelles et leur masque social n’existent plus... Il faut être délicat et nuancé quand on interagit avec elles. Et l'accompagnement aux proches aidants nécessite de la rigueur et énormément d'humanité.

La demande anticipée d'aide médicale à mourir, elle, existe pour les gens atteints de maladie neurodégénérative menant à l'inaptitude. Peu de personnes sont concernées. Au moment où elles font leur demande anticipée, elles doivent être encore aptes à faire cette demande, à un moment très précis où la maladie est là, sans qu’elle soit à un stade avancé. C’est un choix fait maintenant pour plus tard. C’est un terrain nouveau et délicat, qui a encore besoin d'être défriché avec douceur et bienveillance.

Vous soulignez l'importance du choix des mots…

Oui. Il faut bien expliquer. Pour ne pas briser la confiance. Parce que ces gens nous font confiance.

Quel rôle avez-vous dans le processus d’aide médicale à mourir?

Quand le patient signe la demande, il arrive souvent, mais pas systématiquement, que cette étape soit faite avec moi parce que j'étais de garde à l'hôpital. Parfois, la demande est exprimée et je suis sollicitée par la suite pour la première évaluation.

Première et seconde évaluation signifie intervenant numéro 1 et intervenant numéro 2. Le numéro 1 administre, le 2 confirme que la personne est admissible. La plupart du temps, je réalise la numéro 1, car je suis la seule qui réalise des prestations d'aide médicale à mourir dans mon équipe de 4 personnes. À partir de la rencontre avec le patient, je suis responsable du déroulement de l’acte du début à la fin, y compris les aspects liés à la médication. Je côtoie les proches aidants pendant tout le processus.

Comment l’aide médicale à mourir est-elle perçue par les proches aidants?

La plupart du temps, ils sont reconnaissants que ce soin existe et que l’option soit possible.

Souvent, les proches aidants se placent dans l'ombre de la personne atteinte, se gardant une certaine réserve. Alors, devant l’aidant, je demande toujours au patient ce que pense son proche de son choix : « Il est bien d’accord, on en a déjà discuté, ça fait longtemps… » Je demande alors à la personne proche aidante si ce sont effectivement ses émotions, pour lui donner l’occasion de verbaliser. Et dans ce « Je ne veux pas aller contre la volonté de mon proche » qu'ils répondent la plupart du temps, il y a beaucoup, beaucoup d'amour.

Y a-t-il, à ce moment-là, des besoins qui naissent chez les proches aidants?

Oui, mais ils ne les nomment pas trop! Je veux le dire aux proches aidants : j'aimerais qu'ils verbalisent plus leurs besoins. Je les invite à exprimer davantage leurs besoins de soutien, leur souci d'être entendus dans leur réalité vécue, d'être accompagnés et de comprendre ce qui se passe. Je les encourage à poser des questions, pour qu'on leur explique concrètement ce qu’ils vont voir et vivre, quelle durée, dans quel ordre et quelles étapes.

Quand on leur apprend que l'ambivalence est normale, ça les apaise! Ils sont soulagés quand il y a aide médicale à mourir, dans le sens où leur proche ne souffrira plus, et en même temps, il y a un sentiment de perte et de deuil. Il est important que les proches aidants sachent que cette ambivalence est vécue par tous et qu’ils peuvent accueillir ces émotions.

Vous les invitez à verbaliser. Que proposez-vous alors comme outil, ressources, soutien ou documentation?

Ça dépend du besoin exprimé et… de la région. Si je peux le combler moi-même, je le fais. Comme je suis à Sorel-Tracy, s’il y a un besoin d'accompagnement au deuil, j’envoie vers la Maison Victor-Gadbois. Et au sein de mon équipe du CLSC, nous avons une travailleuse sociale spécialisée en suivi de deuil.

Quand les personnes atteintes font une demande, généralement je ne suis pas là. Mes collègues remettent des documents officiels du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Quels impacts sur la personne proche aidante choisie comme « personne de confiance »?

Je précise que le tiers de confiance concerne les demandes anticipées d’aide médicale à mourir, et non pas les demandes contemporaines.

Les personnes de confiance deviennent en quelque sorte gardiennes d'un choix que le patient a formulé autrefois. Certaines que j'ai côtoyées sont apaisées par la demande anticipée : « Je vais porter la parole de ce que voulait mon proche ». D'autres sont fragilisées : « J'ai peur de me tromper. Avec ses troubles neurocognitifs, mon proche a déjà changé… Est-ce que ce sera encore ce qu’il voudra? »

Comment soutenir ces proches aidants désignés tiers de confiance?

Il faut beaucoup d'écoute, de soutien et de clarté dans nos propos, pour éviter que la personne proche aidante ait l'impression de porter ce choix sur ses épaules. Je mets les choses en perspective : « Aujourd'hui nous signons un document ensemble : c’est la décision qui sera appliquée. Comme proche aidant, vous n’aurez pas à choisir pour elle ou lui ». C'est la volonté légale du patient qui est mise de l'avant. Le consentement n’est pas substitué aux proches. Il a été donné de façon anticipée par le patient lui-même.

La responsabilité des proches aidants n’est pas de prendre une décision. Il faut défaire cette croyance. Le tiers de confiance peut donc se concentrer sur l’accompagnement.

Quand les gens font des demandes anticipées d’aide médicale à mourir, il arrive qu’ils aient de la difficulté à trouver des répondants dans le système de santé pour les accompagner; les professionnels compétents n’y sont pas obligés. Il y aurait encore des outils d’informations à développer pour ces demandes anticipées, même si un guide pour la personne et ses proches existe déjà. C’est nouveau pour tout le monde. Il faudra voir au fil du temps quels besoins ressortiront.

S’il y a refus, quels sont les impacts?

Même s’il est justifié, un refus est vécu comme un affront par le patient en souffrance. Les proches se sentent démunis; ils ont l'impression que le système les abandonne et qu'on ne les a pas écoutés.

Ces situations exigent des communications d’une grande délicatesse. Il faut expliquer, continuer à accompagner, rester présent pour eux. Il faut dire aux patients et à leurs proches qu'ils ont le droit d'être déçus et en colère, qu’il est légitime de ressentir toutes les émotions qu’ils éprouvent et qu’ils ne sont pas seuls. Si je suis amenée à signifier un refus à un patient, souvent en présence de sa famille, je lui dis que c'est un non pour aujourd'hui, mais qu’il peut refaire une demande. En équipe de soins palliatifs, nous restons là pour ces personnes.

Dans les cas de demandes anticipées d'aide médicale à mourir, il y a une méconnaissance. Les gens pensent qu'on peut les faire pour tout et pour rien, ce qui n'est vraiment pas le cas. Un refus peut les fragiliser. Il ne faut surtout pas dire non et… se retirer! On ne veut pas que ça les amène à des gestes qui seraient d'une grande tristesse. Il faut alors mettre un support en place, les référer à des organismes communautaires et des ressources, et continuer à accompagner. Semer à nouveau de l'espoir…

Un conseil pour des proches aidants dont le proche parle d’aide médicale à mourir?

À l’occasion d’évaluations, quand je demande à la personne pourquoi elle fait une demande, la réponse est : « Je ne veux pas être un fardeau pour ma famille ». Les proches réagissent : « Tu n’es pas un fardeau! Ça ne me dérange pas d'être là avec toi pour profiter! »

Alors, allez voir « derrière les choses ». Pourquoi votre proche en vient-il à vouloir faire une demande d'aide médicale à mourir? Ouvrez cette conversation.

Un conseil à des proches aidants dont le proche reçoit un refus de demande anticipée ou contemporaine?

Demandez de l'aide pour des soins appropriés. Peut-on faire mieux pour cette personne? Comment rendre son cheminement et son passage plus doux?

L’aide médicale à mourir vous a-t-elle changée?

La première chose… Hum, je ne suis pas sûre d’avoir envie de vous le dire, mais voilà : il y a un coût humain. Il arrive que le patient me demande : « Toi Marie-Josée, comment tu vas? Tout ça, qu’est-ce que te fait? » À chaque fois, ça me met au bord des larmes. Il y a là quelque chose qui marque l'âme, c'est sûr. Il faut accepter cette vulnérabilité. Je la nomme. Je l’exprime. Au besoin, j’appelle un collègue pour en parler. J'aménage mon horaire pour un équilibre entre ces prestations et mes patients « réguliers ». Chaque fois que je vis un deuil de tel ou tel patient et de sa famille, je ferme la boucle. Et je passe à autre chose.

Deuxièmement, avec leur sérénité et l’acceptation de leur fin de vie, les patients m'apprennent beaucoup. Ça me fait cheminer. Je sais à quel point la vie est fragile. Cette dignité des gens dans les derniers moments, l'affection qu'ils ont les uns pour les autres... Souvent, quand j’entre dans une salle pour l'administration, je sens l’amour qui est là. À la fin, il ne reste plus rien, que l’amour.

Merci à Marie-Josée Beaudin pour cette conversation dense et émouvante.

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