Découvrir la thérapie par la réminiscence: entrevue avec Dr Philippe Cappeliez

22 septembre 2020

Découvrir la thérapie par la réminiscence: entrevue avec Dr Philippe Cappeliez

22 septembre 2020
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Connaissez-vous la thérapie par la réminiscence? Cette approche fait appel aux souvenirs d'une personne pour susciter de l'apaisement. L'Appui s'est entretenue à ce sujet avec le Dr Philippe Cappeliez, professeur émérite à l’Université d’Ottawa.

L’Appui : Quelle est votre définition d’expert de la thérapie par la réminiscence?

Dr Philippe Cappeliez : Il s’agit d’une intervention durant laquelle le thérapeute joue un rôle actif où, par des questions, il essaie d’aider une personne qui par exemple pourrait avoir des remords ou des regrets envers son passé à se réconcilier avec celui-ci.

Les patients sont davantage apaisés à l'égard de certains des sentiments négatifs qui pourraient être reliés à certains aspects du passé. On aide aussi la personne à renouer avec certains pans de son identité, puisque les souvenirs personnels et autobiographiques sont les éléments constituants de notre identité. En effet, quand on perd ses propres souvenirs, c’est une grosse perte au niveau de l’identité.

Par exemple, la personne peut retourner dans son passé et retrouver des stratégies d’adaptation. Par les souvenirs, la personne peut se dire : « Dans ce temps-là, j’ai pu composer avec ce genre de défi grâce à ce que j’ai fait et ce que j’ai mis en place. » Ça peut donc aider la personne à réactiver des capacités qui font partie de son fonds de ressources.

J’ai d’ailleurs remarqué que même chez des personnes qui ont des atteintes cognitives déjà avancées, cela insuffle un sentiment d’accomplissement, de valorisation et de compétence.


LA : On a souvent tendance à associer la personne en pertes cognitives à tout ce qu’elle n’est plus et non ce qu’elle est ou ce qu’elle a été. Est-ce que ce type de thérapie peut aider le proche aidant à voir son proche autrement qu’une personne en perte de compétence?

PC : En effet, très souvent, quand on parle de la démence ou de la maladie de Parkinson, on parle beaucoup des incapacités de la personne. Pour nous qui sommes à l’extérieur de la maladie, cela crée un blocage et nous ne sommes pas capables de voir nos proches autrement que comme personne en perte d’autonomie. Cela masque tout ce qui se trouve derrière, c’est-à-dire toute une vie qui est très riche ; toute une personnalité.

Un exemple qui me vient en tête, c’est un monsieur très handicapé qui a construit quatre maisons à lui tout seul, qui pratiquait des courses de traîneau à chien à un niveau compétitif et qui avait rafistolé on ne sait plus combien de voitures. Donc, c’est toute une vie complètement masquée par sa condition actuelle. C’est très dommage, car à travers ces personnes qui ont de la démence, il y a des gens qui ont des vécus exceptionnels et tout le monde gagnerait à en connaître davantage sur leur histoire. Alors, les interventions en réminiscence peuvent aider en ce sens.


LA : Est-ce que la famille peut participer aux interventions? Si oui, comment cela peut lui être bénéfique?

PC: Oui, tout à fait, puisque l’avantage, quand cela est fait au début de la démence, parce qu’il arrivera un moment où ça ne sera plus possible d’évoquer les souvenirs en raison des capacités cognitives, c'est qu'il s’agit d’un moment déterminant qui permettra de reprendre tout ce legs qui doit pouvoir laisser des traces pour le proche aidant, mais aussi pour toute la famille. Il ne faut pas que cela disparaisse, car chaque individu est une bibliothèque qui part lorsqu’il décède. Il s’agit de tout un savoir-faire, savoir-vivre, tout un vécu, qui est intéressant à recueillir avant que cela ne soit plus possible.


LA : À qui s’adresse ce type de thérapie? Est-ce réservé qu’aux personnes âgées souffrant de dépression?

PC : Non, pas seulement. D’ailleurs, j’ai écrit un livre intitulé À la lumière de mon passé : mes souvenirs autobiographiques pour me connaître et me comprendre qui s’adresse au grand public en dehors de la dépression, qui désire explorer les souvenirs autobiographiques dans le but de mieux se connaître, mieux se comprendre, dans un objectif de développement personnel. Donc, ce genre d’intervention est effectivement pour les personnes âgées dépressives, mais aussi pour les personnes en général. il s’agit d’un guide, d’un outil de travail, dans lequel il y a une méthode qui est proposée avec des questions pour aider à explorer et approfondir certains souvenirs. Donc, c’est quelque chose qui peut être utilisé par tout le monde, notamment à la maison, car l’accent est mis sur les souvenirs identitaires et positifs par une méthode qui favorise la rétrospection constructive. À noter qu'au début du livre, on donne une série de symptômes classiques de la dépression et on conseille d’aller consulter un professionnel en santé mentale si on coche un certain nombre de ceux-ci.


LA : Quels seraient alors les risques d’une séance mal encadrée ?

PC : C’est intéressant d’en parler, car effectivement, on a l’impression que la réminiscence, comme la crème glacée ou la tarte aux pommes, c’est bon pour tout le monde, tout le temps. Par contre, pour certaines personnes, le passé, c’est le passé et elles ne souhaitent pas revenir là-dessus. Alors bon, ces personnes-là, on ne les force pas, car il faut respecter qu'elles ne soient pas intéressées.

Et avec d'autres, on va peut-être toucher un point sensible qui fera surgir beaucoup d'amertume, beaucoup de regrets et de remords. Le risque à ce moment-là est que la personne s’enfonce dans le désespoir par rapport à cela. Dans ces cas-là, en intervention, un thérapeute sera capable de reprendre le tout et tenter d’en faire quelque chose de positif.


LA : Donc, si on souhaite pratiquer une séance avec notre proche, on doit s’assurer d’être préparé.

PC : Tout à fait, car comme nous le faisons en clinique avant une intervention, on doit faire faire ses recherches sur le passé de la personne avec qui on souhaite pratiquer une séance de réminiscence afin d’éviter les sujets sensibles. Si cela arrive quand même, il faudra être en mesure de distraire son proche ou se préparer à transformer les mauvais souvenirs en souvenirs positifs afin de continuer la conversation là-dessus.


LA : Pourquoi se tourner vers la thérapie par la réminiscence ?

PC : L’avantage de cette thérapie par rapport aux autres existantes dans le domaine de la dépression, c’est que nous ne faisons pas qu’aider la personne à composer avec la dépression, mais on ouvre aussi la possibilité à un développement personnel, car cela va plus loin que contrecarrer la dépression. On va dans le positif. Essentiellement, on permet à la personne de renouer certains liens dans sa trame de vie de manière à arriver à approcher la mort de façon plus sereine, de manière plus intégrée. Les autres interventions n’ont pas cet aspect développemental. L’approche par la réminiscence donne les moyens d’aborder ces questions d’ordre existentiel et fondamental : « Ma vie a servi à quoi ? Quelle est la signification de ma vie ? »

Alors, la grosse différence de cette approche contrairement à d’autres est que, bien utilisée, elle offre de la possibilité de considérer sa vie comme un tout cohérent et significatif, avec un esprit serein.


LA : On compte donc, parmi les bienfaits de cette thérapie, la recherche de sens qui est apaisante, l’amélioration de l’estime de soi, le renouement avec le sentiment de compétence et la transmission de son patrimoine. Est-ce qu’on peut ajouter que ça brise l’isolement?

PC : Oui, absolument! Et c’est extrêmement important, car, le rappel des souvenirs, c’est également un moyen de maintenir et de développer des liens sociaux. C’est un outil de communication entre générations qui n’a pas d’égal. Quel petit-enfant n’a pas été intéressé à écouter le grand-père ou la grand-mère raconter des pans de son vécu? Cela crée un sentiment de valorisation chez la personne qui parle et ça crée un climat très positif entre les membres d’une famille ou partenaires d’interaction.

Je me souviens à mes débuts, une de mes étudiantes avait proposé de donner une espèce de certificat à la fin d’une série d’interventions. Une personne âgée avait donc installé ce certificat sur sa cheminée et puis son fils est venu et lui a demandé ce que c’était, et elle lui a expliqué. À partir de là, ont découlé des conversations dans lesquelles ils se parlaient d’anecdotes dont ils n’avaient jamais discuté auparavant. Dès lors, effectivement ce contexte-là peut encourager les échanges entre individus, surtout à l’intérieur de la famille.


LA : Pouvez-vous nous donner un exemple du déroulement d'une séance de thérapie par la réminiscence ?

PC : Nous avions l’habitude de faire des rencontres hebdomadaires par petits groupes de trois ou quatre personnes en CHSLD. Les rencontres étaient menées en fonction de thèmes. Donc avant la rencontre, les personnes étaient informées du thème de la semaine, par exemple « Mes réalisations ». Alors, on demandait aux personnes de réfléchir avant l’arrivée dans le groupe à un souvenir personnel relié à un aboutissement, une réalisation, quelque chose dont elles sont fières. Ça peut être quelque chose de petit ou quelque chose de grand, du moment qu’il s’agit d’un accomplissement. Quand le groupe commence, on demande « Qui veut commencer ? ». Le ou la volontaire va évoquer son souvenir et tout le groupe écoute le rapport du souvenir et les personnes sont informées au préalable que le thérapeute ou l’animateur va poser des questions, va explorer.

Un exemple, un monsieur qui travaillait à l’époque comme fonctionnaire dans un ministère à Ottawa, avait été mandaté à parler des nouveaux standards professionnels dans sa branche d’activités. Il racontait qu’il avait très peur de le faire puisqu’il n’avait jamais parlé en public de cette façon. Malgré tout, il s’était levé et avait fait sa présentation. Alors, je lui ai demandé : « Qu’est-ce qui vous a aidé à vous lever et à vous rendre jusqu’au podium ? Qu’est-ce que ça nous dit de vous que vous ayez pu affronter votre angoisse de parler en public ? » On peut dire que c’est quelqu’un qui peut se prendre en main, quelqu’un de courageux, etc. On repasse le film de l’événement dans sa tête en allant chercher ses forces.

Après on demande aux autres membres ce qu’ils en pensent, s’ils ont des questions. Ça permet de créer le lien entre les personnes.


LA : Est-ce que ce type de traitement aide à ralentir ou à arrêter la progression des pertes cognitives ?

PC : Non, ce n’est pas un traitement qui cible le fonctionnement cognitif. Cela dit, la stimulation cognitive produite par cette activité-là peut être positive dans le moment présent. C’est-à-dire que la personne normalement va être plus alerte, plus en contact dans ce moment-là, mais ça ne va pas renverser le cours progressif de la maladie, comme celle de l’Alzheimer. Parce qu’on utilise les mots souvenir et mémoire, ça pourrait porter à confusion, mais ce n’est pas un traitement de réhabilitation de la mémoire.


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Quelques ressources sur le sujet existent :


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