Être femme proche aidante, entre souci des autres et souci de soi

04 mars 2024

Être femme proche aidante, entre souci des autres et souci de soi

Francine Ducharme, professeure émérite à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, est la première personne à avoir obtenu un doctorat en sciences infirmières décerné par une université canadienne. Elle est chercheuse dans le domaine de la proche aidance depuis plus de 30 ans. La Journée internationale des droits des femmes est l’occasion de discuter avec elle des femmes proches aidantes et de comprendre l’évolution de la proche aidance dans l'histoire récente du Québec.

Francine_Ducharme

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à la proche aidance et à ces femmes qui aident?

Je ne suis pas tombée par hasard sur ce sujet. J’ai été infirmière sur le terrain avant d’être professeure et chercheuse. Ensuite, pour mon doctorat, j’ai travaillé auprès de couples âgés; je me suis rendu compte que ces femmes âgées soignaient souvent leurs conjoints. Je me suis alors intéressée à la santé physique et psychologique de ces femmes qui me racontaient combien elles étaient fatiguées, tout en précisant qu’aider était « leur devoir ». Elles ne se voyaient pas comme des aidantes et faisaient très peu appel aux services, estimant « être capables ». Leur santé précaire et leur vulnérabilité me touchaient. À la fin des années 1980, on ne parlait pas de proche aidance. À terme, ces femmes allaient tomber malades. Il fallait s’occuper d’elles.

Il m’est arrivé de faire de la recherche sur les hommes proches aidants. J’ai observé une grande différence par rapport aux femmes. Les hommes faisaient largement appel aux services et beaucoup n’étaient pas gênés d’en demander de toutes sortes. Les femmes, elles, avaient tendance à demander de l’aide seulement à la toute fin de leur proche aidance.

Je croyais que les femmes faisaient davantage appel aux ressources…

Les récentes statistiques rapportées par l’Observatoire québécois de la proche aidance montrent que les tâches effectuées par les hommes et les femmes restent aujourd’hui assez stéréotypées et genrées. Si les hommes s’occupent du soutien logistique (pelleter la neige, aller à la banque, entretenir la maison), les femmes offrent principalement le soutien émotionnel, les soins et le soutien à la vie domestique à l’égard de leur proche. C’est ce qu’on appelle le care au féminin.

La société évolue, mais nous composons encore avec des rôles femme/homme hérités d’une trame historique. Aujourd’hui, de plus en plus de gens se reconnaissent comme personne proche aidante parce qu’ils entendent parler de ressources qui pourraient leur éviter l’épuisement. J’ajoute que, si dans les années 80 ou 90, les hommes demandaient des services sans trop de scrupule, c'est peut-être parce qu’on leur en offrait… Ce « pauvre homme » qui doit s'occuper de sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, comment va-t-il s’en sortir? Alors on lui proposait de l’aide. Évidemment, il ne faut pas généraliser, mais c’était une conclusion de cette étude.

Ces femmes sont-elles dans le souci des autres parce qu’elles sont femmes, ou parce qu’elles sont dans des conditions sociales qui les amènent à devoir être proches aidantes?

Il y a un grand débat là-dessus et ce n’est pas moi qui vais le régler aujourd’hui! Je pense que les raisons de la proche aidance au féminin sont multidimensionnelles, multifactorielles, notamment historiques, sociologiques ou encore culturelles.

Quels conseils donner aux femmes proches aidantes?

La majorité des femmes proches aidantes se situe dans la génération sandwich. La tranche 45-64 ans est un moment fort de la vie d’une femme. Sa carrière est à son apogée, elle a de l’expérience, des compétences; elle est au sommet. Elle doit vivre sa propre vie et sa carrière, le cas échéant, au moment même où elle a des adolescents et des parents âgés.
Or, quand commence ce que j’appelle la « carrière de personne proche aidante », la trajectoire est souvent longue. Un conseil serait donc de faire appel tôt aux ressources, dans l'idée de prendre soin de soi et de pouvoir continuer à travailler. Certaines délaissent leur travail pour leur proche aidance, mais, à moins qu’il ne s’agisse d’un choix, je pense que les femmes peuvent tenter de trouver des alternatives pour mener leur vie à elles, tout en restant en santé.

Comme femme, quelle distance garder face à son souci des autres?

Ça s’apprend! Avec mon équipe de recherche, nous avons développé des programmes éducatifs et de soutien pour les aidants : pour gérer son stress, prendre soin de soi, ou encore devenir aidant. Des exercices et échanges permettent aux femmes de se rendre compte qu’il ne leur reste plus de temps pour elles, pour s’occuper de leurs enfants ou encore pour vivre leur vie de couple. La proche aidance ne doit pas prendre toute la place. Il faut se donner du temps, rester en équilibre, éviter de négliger le reste de notre vie tout en exerçant, si on le veut bien, notre rôle de proche aidante.

Quand on m’a parlé de faire une entrevue avec vous, on m’a dit : Francine Ducharme est la fée marraine de l’Appui pour les proches aidants. Racontez-moi!

J’ai passé ma vie à faire de la recherche sur les proches aidants et cela m’a amenée à aller en commission parlementaire en 2009 pour parler de l’importance d’un réseau de ressources pour les proches aidants d’aînés au Québec. Cette commission est à l’origine de la création de l’Appui pour les proches aidants. Je ne me qualifierais pas de « fée marraine »; j’avais une équipe autour de moi! Beaucoup se sont battus pour la reconnaissance du rôle des aidants, notamment des femmes.

Votre nom est aussi dans la liste des collaborateurs de la Politique nationale pour les personnes proches aidantes. Quel a été votre apport?

Nous étions plusieurs personnes! J’ai été sollicitée comme consultante, on m’a montré l’avancée des travaux et j’ai réagi à certains points. J’ai été plus particulièrement impliquée sur le sujet de l'identification des approches d'évaluation et des indicateurs pour l'atteinte des objectifs de la Politique nationale.

J’ai été très heureuse qu’une Politique nationale et un Plan d'action gouvernemental pour les personnes proches aidantes mis en branle en 2021 voient le jour au Québec.

Pour moi, la Politique nationale est un cadeau du ciel. Elle ne va pas tout changer, mais au moins il y a une reconnaissance officielle de la proche aidance. Je constate les progrès réalisés depuis les années 1980. Il reste encore beaucoup à faire, mais je préfère voir le bon côté : les gens se reconnaissent davantage proches aidants et ils savent que des services sont de plus en plus développés pour les épauler.

Quel rôle pour le souci des autres dans la société québécoise?

Aujourd’hui, on parle d’« éthique du care ». Cela fait appel à l’importance, dans une société, d’éprouver le souci de l’autre. La pandémie a montré l’importance des femmes qui soignent d’autres femmes et de leur rôle dans le système de santé. Prendre soin de l’autre et avoir de la sollicitude a été crucial pendant la pandémie.

Prendre soin des autres est essentiel dans une société et pourtant ce rôle a toujours été dévalorisé. Le Québec a fait des progrès : avoir une Politique nationale pour les personnes proches aidantes, c’est quand même quelque chose, ce n’est pas le cas partout! Je suis contente de cette évolution, même si les changements prennent du temps, encore trop de temps à mon avis!

Merci à Francine Ducharme pour cette conversation passionnante. Le travail au long cours et acharné de Francine Ducharme se concrétise aujourd’hui dans quatre formations en ligne et gratuites élaborées par elle et son équipe et proposées aux personnes proches aidantes : Avec toi sous un autre toit, MeSSAGES et Pas à pas vers la gestion du stress ainsi que Devenir aidant, ça s’apprend! Merci Francine!

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