En Gaspésie, les gens ont le souci de l’autre

02 avril 2024

En Gaspésie, les gens ont le souci de l’autre

Proche aidante de son père Réjean qui vit avec la maladie d’Alzheimer, Jenny Lévesque est intervenante au Centre d’action bénévole des Chic-Chocs. Une professionnelle au fait des grands enjeux en Haute-Gaspésie et pour qui l’art est l’outil d’intervention préféré.

Jenny Lévesque - CAB Chics-Chocs

Qu’est-ce qui vous a amenée à coordonner des services d'accompagnement fin de vie et soins palliatifs et de soutien aux proches aidants?

Pendant sept ans, j’ai été proche aidante de ma mère atteinte de troubles respiratoires chroniques et bipolaire. Ça se passait bien, mais ses rendez-vous médicaux étaient tous à l’extérieur du territoire; ici, nous sommes loin des grands centres, alors le transport est un défi. Je ne pouvais pas tout faire. J’ai découvert le Centre d’action bénévole (CAB) en venant chercher de l’aide pour le transport. On n’a pas idée de l’ampleur du travail accompli par les CAB!

J’ai accompagné ma mère jusqu’à la fin. Je l’ai « rencontrée » à nouveau à cette occasion; nous avons vécu des moments magiques. Quand elle est décédée, j’ai réalisé que je n’avais eu aucune idée de la manière de l’épauler dans sa fin de vie. L’aspect physique de la douleur m’avait rendue inconfortable. J’avais vu comment ma tante, elle, agissait avec ma mère; c’était tellement beau! Cela m’a inspirée. Je travaillais au CISSS de la Gaspésie quand le CAB des Chic-Chocs m’a appelée pour pour me confirmer que j’avais le poste de coordonnatrice de la cohorte de bénévoles d’accompagnement fin de vie L’Envolée et, entre autres, du projet d’appui aux proches aidants.

Qu’en est-il de la proche aidance en Haute-Gaspésie?

Ici, répit et transport sont des enjeux majeurs. Plusieurs n’ont pas ou peu accès au répit à cause du manque de personnel. Pour mes interventions, je me rends parfois à domicile et c’est très apprécié. Avec la quantité d’accompagnement que j’ai à fournir, les rencontres ne sont pas longues, mais elles existent!

Une autre réalité est que les enfants d’âge adulte et les petits-enfants sont à l’extérieur du territoire. Ces aînés se sentent donc très seuls; l’appui de la communauté est d’autant plus crucial. Les bénévoles qui gravitent autour des proches aidants et des bénéficiaires sont essentiels.…

Encore aujourd’hui, vous êtes proche aidante…

Oui, je suis proche aidante de mon père et de ma tante, celle-là même qui a accompagné ma mère à l’époque. C’est elle qui a des besoins maintenant, alors ses sœurs et moi nous partageons les tâches. C’est beaucoup de gymnastique de transport; hier encore je l’ai emmenée à l’épicerie. Je l’aime beaucoup.

Pour mon père atteint de la maladie d’Alzheimer, une équipe était en place autour de lui : mon frère avait ses tâches, moi les miennes. Mais il habitait à l’orée de la forêt. Il allait dans le bois et… se perdait. En Gaspésie, il n’y a pas d’accès au réseau cellulaire partout; il était impossible de lui faire porter une montre GPS pour le localiser. Après plusieurs mois d’attente, Papa a eu le privilège d'avoir une place en résidence pour aînés. Il est bien maintenant. Je l’accompagne à ses rendez-vous médicaux et lui rend visite. Mon rôle d’aidante s’est allégé : c’est juste du plaisir!

Comment utilisez-vous l’art dans vos interventions?

L’art, c’est ma petite touche à moi. Je ne peux pas nécessairement faire d’atelier d’art-thérapie, même si j’ai une formation en arts. Alors j’ai écrit un livre, illustré avec des aquarelles, il représente la vie d’une femme depuis l’enfance. J’y travaille encore et je teste le cahier avec des femmes. Le livre leur permet de réfléchir aux rôles de leur vie : qui suis-je comme amie, travailleuse, conjointe, maman et proche aidante? Que faire d’autre qu’aider les autres? Qui suis-je sans le regard des autres et sans celui de l’aidé? Qu’est-ce qui me fait du bien?

Jenny Lévesque - Cahier Proches aidantes- CAB Chics-Chocs

Qu’est-ce qui est critique dans la phase de post-aidance?

La clientèle du CAB est majoritairement aînée. Je vois beaucoup de grande solitude sur ce territoire immense. Comme il y a peu de résidences, les gens vivent longtemps à domicile. Quand nous intervenons, après que le CLSC, les voisins, la famille ou encore les amis nous la réfère, la personne a souvent déjà vécu une longue période d’isolement.

Les gens vivent de l’isolement quand ils sont proches aidants. Ils ne sont pas préparés à la solitude qui les attend quand la personne qu’ils accompagnent décède.

Les personnes proches aidantes sont dans l’action et le mouvement. Une fois seules, le deuil est d’autant plus grand et un gouffre de solitude s’ouvre. Elles (car ce sont surtout des femmes) ne savent plus qui elles sont et ce qu’elles aiment. Elles ont passé leur vie à aider les autres.

Quelles sont les spécificités des besoins des proches aidants en Haute-Gaspésie?

Je pense aussi qu’en Haute-Gaspésie, le regard de l’autre est très présent. Je connais des proches aidants qui n’envisagent pas de diriger leur aîné vers un hébergement par souci du regard de l’autre, même quand il est nécessaire de le faire. Cela fait que les proches aidants sont épuisés.

À cela, il y a un bon côté : il y a une solidarité. Venir donner un coup de main pour pelleter les marches enneigées, nettoyer la voiture, faire l’épicerie…. Plusieurs proches aidants qui reçoivent les services de popote roulante du CAB ont été référés par leurs voisins. Il y a un souci de l’autre et il le faut pour habiter ce territoire qui n’est pas le plus doux de la Gaspésie! Ici, c’est venteux; les gens ont du caractère. La solidarité est une valeur, mais il peut toujours y en avoir davantage; c’est ce que j’essaye de valoriser dans mes interventions.

Merci à Jenny Lévesque pour son énergie communicatrice et cette conversation énergisante! L’Appui pour les proches aidants soutient le Centre d’action bénévole des Chic-Chocs dans son action auprès des personnes proches aidantes d’aînés. Le CAB propose aux proches aidants des causeries, ateliers, groupes ou encore conférences ouvertes à un plus large public. Le volet répit est proposé en collaboration avec des entreprises d’économie sociale.

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